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5 ans de passion pour l'Afrique et sa littérature

et un joyeux anniversaire Au Petit Pays du baobab ☀️ !

3 juin 2025


Petite introduction

Il y a des anniversaires qu’on ne fête pas avec des bougies, mais avec des mots. Cette année, Au Pays du Baobab a 5 ans. Et moi, je ressens le besoin de raconter. De me raconter. Parce qu’un blog, ce n’est jamais juste un site internet. C’est une trace, un miroir parfois. Il y a cinq ans, j’ouvrais un livre, sans savoir que c’est mon propre monde qui allait changer. Aujourd’hui encore, je ne saurais dire où tout cela va me mener, mais je sais que ça fait sens. Et ça suffit.

À travers une série de 5 articles, publiés chaque mardi et vendredi, je vais retracer cette aventure. Cinq temps d’un chemin personnel, intellectuel, presque initiatique. Des livres aux voyages, des rencontres aux luttes, des doutes aux certitudes naissantes, je vous embarque dans ce bilan à cœur ouvert, avant de vous emmener avec moi vers une nouvelle page de cette histoire collective.

La première partie est à découvrir ci-dessous. J’espère que vous serez au rendez-vous pour la suite.

Baobabement vôtre,
Meriyem

Partie 1: La Naissance

Déjà 5 ans qu’Au Pays du Baobab existe, ma première grossesse, mon premier bébé, mon tout, mon moi. Je ne sais pas exactement quel jour ce projet est né, je ne le fête pas à chaque fois que la Terre fait un tour autour du Soleil, à date fixe. Il fait juste partie de moi, il est moi. Je me souviens seulement d’un soir d’été à Cordoue, dans ma petite chambre d’hôtel. J’y ai eu une sorte de révélation. Il était peut-être 1 heure ou 2 heures du matin quand sans réfléchir, j’ai sorti mon cahier de notes à la couverture dorée, puis un stylo, et je me suis mise à écrire. J’ai écrit des mots venant du plus profond de mon âme, des mots dont je n’étais pas maîtresse, des petits souffles effleurant mon oreille et prenant vie sur quelques-unes des pages vierges de mon carnet. Une chaleur créatrice m’a enveloppée, accompagnée de quelques larmes d’émotion. J’étais sur le point de lire ma nouvelle mission de vie.

Cette nouvelle graine, un peu cosmique, ne s’est pas présentée dans cette conception prophétique comme les règles des Dix Commandements que je devrais suivre. Ces mots qui s’écrivaient tout seuls sonnaient plutôt comme un rappel, comme une promesse que je ne pourrais jamais trahir. Ce que j’écrivais n’était que l’image de ce dernier au revoir au Mali, à mes grands-parents, que ma mémoire rejouait en boucle. Ce jour où mon dernier mot pour eux avait été : « merci ».

Il y a quelque chose qui tient du destin, dans lavie. Ceux qui vous diront le contraire ne croient plus à la magie de l’existence. Il y a quelques années de cela, après avoir décroché mon baccalauréat, j’ai débarqué à Paris pour poursuivre mes études. Il faut dire que je suis née et que j’ai grandi au Maroc. Née dans une petite ville en bord de mer d’une mère marocaine et d’un père malien, à une époque où Internet n’existait pas encore et où, jusqu’à mes 12 ans, j’ai attendu avec impatience mon anniversaire, ce grand jour synonyme de nouvelle poupée.

Une éducation à la dure mais pleine d’amour, qui nous a appris que nous ne méritons que ce pour quoi nous travaillons dur. Les années ont passé, jalonnées de bonnes notes, car apprendre était un plaisir et l’école, un endroit d’épanouissement. Dans la mienne, nous grandissions ensemble depuis la maternelle, habitions dans les mêmes quartiers, dans de grandes maisons, parlions surtout français, peu arabe ni même darija, car c’était « une langue de pauvres » sans intérêt. Nos parents avaient tous bénéficié d’une bonne éducation, occupaient des postes prestigieux, roulaient dans des grosses voitures… Nous étions les enfants de l’élite, de la bourgeoisie. Nous étions les enfants de la Mission française au Maroc, un petit cocon colonial en terre étrangère.

Naturellement, après avoir dignement fêté nos succès scolaires à la fin de la terminale, mes condisciples et moi avons rempli les vols de la compagnie Royal Air Maroc vers toutes les destinations françaises, Paris en tête. Ma destination. Je ne voyais rien de bizarre ni de nouveau à l’idée d’aller en France. Mon éducation était française. Je connaissais toutes les villes, rivières et montagnes de France, ainsi que le système politique, les droits et devoirs du citoyen français, l’histoire de France depuis Charlemagne, avec un petit stop à la période coloniale pour nous apprendre que celle-ci avait aussi eu des bienfaits, en somme : quelques bâtiments, des routes et des ports. Des infrastructures, disait-on, oubliant toujours le sang que cela avait coûté. Pratique dans les dissertations structurées en thèse, antithèse et synthèse. À 18 ans, donc, la France sonnait pour moi comme une évidence. Pas de place au doute, surtout à la vue de la tour Eiffel, du château de Versailles, de la fête et de la nouvelle liberté !

Pourtant, dès mon premier jour en classepréparatoire, certaines questions sont revenues en boucle : « Tu viens d’où ? », « Tu es de quelle origine ? », « Tu as un petit accent »… Moi, un accent ? Impossible, j’ai grandi en France… enfin, au Maroc, je veux dire, à l’école française. Vous délirez ! Et de jour en jour, inconsciemment, ont commencé à s’effacer ces petites notes chantantes afin de masquer un peu plus le rappel de mon identité, pour mieux me débrouiller dans mon pays d’accueil : la France, la mère patrie.

Culturellement, jamais je ne me suis sentie étrangère en France car quelque part, jamais je n’ai voulu prouver que je venais de là. Je savais pertinemment où étaient mes racines. Il est vrai que j’ai été élevée dans un chauvinisme exacerbé, mes parents étant de véritables ambassadeurs de leurs nations respectives : ma mère ne jurant que par « Dieu, la Patrie, le Roi », et mon père par « Un peuple - Un but - Une foi ». Dans une exclamation synchronisée, tous deux répétaient : « celui qui n’aime pas son pays, c’est comme s’il n’aimait pas ses parents ! » Fair enough, c’est noté ! Vive le Mali, vive le Maroc, vive mes parents !

Quant à la France, elle répétait toujours enboucle ces mêmes questions : « Tu viens d’où ? », « Tu es de quelle origine ? » Celle à propos de mon accent avait fini par disparaître, car j’avais désormais décidé de rester dans des octaves « acceptables ». Et puis lorsque d’adolescente, je suis devenue femme, ayant retiré mon appareil dentaire, ce « Tu es de quelle origine ? » a soudain pris une autre dimension, un autre goût. Dans le regard de mes semblables, j’ai eu l’impression étrange de devenir un ananas, une sorte de fruit exotique ambulant. Je suis devenue métisse, un mélange de couleurs, métisse, un mélange de saveurs.

Et puis, oui, c’est bien de militer pour une meilleure Afrique… Il faut bien penser à la développer, n’est-ce pas, en faisant quelques rencontres dans des bars et restaurants sympas de la capitale ? Excellente idée ! Ni une, ni deux, je suis devenue un merveilleux objet pour la politique engagée : une jeune métisse éduquée d’Afrique du Nord et de l’Ouest, formée par la France… Jackpot ! Étais-je utilisée ? Absolument pas, sans aucune ironie. J’étais très heureuse d’endosser ce rôle car je croyais à l’utilité de ce statut : celui de Meriyem l’Africaine, mais sans aucune notion ni conscience de ce que cela
signifiait vraiment.

Partie II: La Révélation

2019 a sonné le glas de ce fantasme dont j’étaisl’allégorie : l’Africaine de Paris. En effet, l’Union africaine ayant sélectionné un duo de jeunes pour chacun des 54 pays d’Afrique afin de simuler un modèle d’Union Africaine à Addis-Abeba, son siège, j’ai ainsi eu devant moi un échantillon à taille humaine de ce qu’était l’Afrique grâce à ces 108 visages, dont je faisais partie.

Et puis, après une semaine dans ce fantastique environnement, j’ai compris que je vivais dans un leurre, que l’Afrique était une mosaïque mais que nous étions rassemblés autour d’un projet d’émancipation, et que notre diversité ferait notre force. Car oui, quels liens entre une Marocaine et un Mozambicain ? Entre une Sud-Africaine et une Éthiopienne ? Entre un Botswanais et un Cap-Verdien ? En réalité, aucun… Ce continent
est trop vaste, trop divers. Ce qui nous lie, c’est une volonté de briser les chaînes mentales et physiques qui bâillonnent nos vérités, lesquelles seront l’élan nécessaire à notre émancipation

De retour à Paris, cette expérience m’a hantée… Ellem’a fait comprendre que je ne savais rien de l’Afrique, que Meriyem l’Africaine n’était qu’une coquille vide, qu’un objet de représentation, qu’un outil marketing. Je ne pouvais plus me le permettre, après avoir vu la vérité de mes propres yeux.


Quelle meilleure façon de nourrir le vrai que parle savoir ? Direction Gibert Joseph, rayon géopolitique. Trois livres sur l’Afrique. J’en ai pris un, plus précisément. Une guerre perdue : La France au Sahel, de Marc-Antoine Pérouse deMontclos, apparemment spécialiste des conflits armés en Afrique. Pour résumer : une grosse daube, qui m’aura coûté 19 euros… un vrai gâchis pour mes finances de jeune cadre dynamique parisienne, à l’époque ! Plus je le lisais, plus je sentais un inconfort me saisir face à des analyses biaisées que je trouvais déjà obsolètes. Si ce monsieur était « un grand spécialiste », qu’est-ce que ce serait alors quand je tomberais sur un livre qui dirait la vérité ?

Heureusement, ce que l’on appelle le pouvoir de la manifestation m’a alors mise sur le chemin d’un journaliste du Monde diplomatique s’étant penché surune étude de la RDC et qui m’a orientée vers Mathématiques congolaises, d’In Koli Jean Bofane. Un roman ? ai-je pensé. Pas très pro, tout ça… Mais ne voulantpas le heurter, je me suis prêtée à l’exercice.

C’est en refermant ce livre que je me suis dit : c’est donc ça, l’Afrique racontée par les Africains ! Enfin, la vision de la vérité que je cherchais… Là était la nouvelle école de Meriyem, où elle allait réellement devenir Africaine.

Partie III: La Renaissance

Pour être franche, créer Au Pays du Baobab ne m’a pris qu’une journée, en incluant le site internet et ma page Instagram. Mon premier follower a été Max, un ami, sorte d’ange gardien, témoin du bouillonnement et garant de la technicité de mes idées… C’est notamment lui qui m’a expliqué ce qu’était un hébergeur internet, lol. Le second followera été ma sœur, qui considère toujours que tout ce que je fais est bien, endossant
bizarrement autant un rôle de guide que de fan.

Aujourd’hui, nous sommes plus de 20 000. Excusez-moi si j’ai perdu le fil après la deuxième personne, car je ne réalise toujours pas comment j’ai réussi à faire en sorte que l’on soit aussi nombreux. Un livre, puis deux, puis des articles, des recommandations, des fiches pays… Je voulais créer l’espace de notre narration, effacer les traces d’un déracinement, subi ou pas… J’ai compris que l’on était nombreux et que ce blog permettait à chacun de trouver ses propres réponses, à son rythme.


Noyée dans ces livres, j’ai senti un vide se remplir de révélations, de faits, d’histoires inconnues, de connaissances… J’ai commencé à comprendre, tout en étant dépassée par le nombre de choses encore à apprendre. J’y ai passé des nuits, des week-ends, des journées… Une passion qui n’a jamais pesé sur mon cœur, que je n’ai jamais sentie de trop. Une passion comme l’expression de cette prophétie, de cette promesse que je revoyais dans ce souvenir, quelques années auparavant, là où siégeait le grand baobab.

Plus vous croyez en ce que vous êtes, plus vous vivez ce que vous êtes. Ma vie n’était plus réelle, elle était l’expression de mes pensées, de mes lectures, de ce que je ressentais. Un jour, en serrant la main de Djibril Tamsir Niane, je lui ai confié avec beaucoup d’émotion quel avait été l’effet de l’épopée de Soundiata Keïta sur mon cheminement. Car moi, Malienne, j’ignorais qui était cet illustre personnage, que son livre m’avait enfin révélé. Croisant le rire de Théophile Obenga, il m’a appris que mon prénom signifiait « l’aimée d’Amon », le père des dieux de l’Égypte antique. Aminata Traoré m’a confié son soulagement face à une génération qui reprenait le flambeau. Chimamanda Ngozi Adichie m’a demandé des conseils de lecture d’auteurs francophones. Mohamed Mbougar Sarr m’a souvent questionnée quant à la date de publication de mon premier livre. Mbarek Ould Beyrouk a été content que je le reconnaisse. Eugène Ébodé m’a félicitée pour mon dernier article et Jean Bofane, humblement gêné, a appris qu’il avait été le déclencheur de cet élan sans limite.

Car rencontrer ces auteurs, c’est contempler le visage de ces réalités qui ont réussi à changer quelque chose dans notre perception, dans notre courage à nous assumer, à nous connaître. Ce sont des voix qui par le talent, par la ferveur, par la force, se sont imposées face à l’Histoire dominante. Ces récits ont reconstruit une vérité de mon monde. De notre monde..

Meriyem serait-elle donc vraiment en train de devenir Africaine ? Presque…

Meriyem l’Africaine

Prétentieux nom de Miss, je dirais. Qui réellement peut se dire africain, sauf le territoire, le continent, les montagnes, les forêts, les côtes, la nature… Et cette terre m’a invitée à la découvrir du nord au sud, dans les meilleures conditions, pour faire sa connaissance.

Pendant trois ans, je l’ai donc parcourue, allant à sa rencontre pour l’observer de plus près, lever ses a priori, voir ce que les lignes sur les pages cachaient vraiment.Tunisie, Égypte, Éthiopie, Guinée équatoriale, Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo, Namibie, Afrique du Sud, Mali… évidemment, le Mali.

Dans tous ces pays, j’ai vu l’Afrique à travers les personnes que j’ai rencontrées, les histoires qu’elles m’ont racontées, les endroits qu’elles m’ont fait visiter, la joie qu’elles ont partagée avec moi, l’amitié dont elles m’ont fait cadeau. L’Afrique m’a offert des amis dans chacun de ses coins pour que, où que j’aille, j’y trouve quelqu’un qui m’attend. L’Afrique a fait en sorte que peu importe où je me rende, je me sente chez moi.

L’Afrique m’a prise dans ses bras et m’a dit qu’elle était là pour moi, que je devais continuer à la décrire et à faire ressentir son âme et sa beauté. Elle vous dit aussi qu’elle vous aime, et vous supplie de ne pas la juger. Car elle sait qu’elle porte des crimes, du sang, de l’injustice, et qu’elle n’a parfois pas su protéger tous ses enfants. Mais un jour, quand ils s’aimeront comme elle les aime, ils apprendront à grandir dans la paix et la sécurité.

Elle m’a aussi dit de leur rappeler qu’ils ne sont pas lâches, inconscients, menteurs, voleurs ou incapables, mais qu’ils se souviennent plutôt d’à quel point ils sont braves, dignes, résistants et résilients, car ils se sont libérés du pire. Elle a voulu bien faire en les
gâtant avec la plus belle nature, les meilleurs minerais, les plus beaux corps, en rendant leur joie et leur rire faciles. Mais elle n’avait pas prévu la jalousie et la convoitise des autres. "L’injustice est à la base de ce monde. Mais vous trouverez votre chemin, votre vérité, mes enfants."

Alors, comment ne pas décider d’y revenir, après tout… Revenir dans ma vraie maison… l’Afrique.

Suite et dernière partie mardi prochain...🧡