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Rêves de femmes, une enfance au harem

Fatima Mernissi

5 octobre 2019

Article rédigé par Meriyem KOKAINA

“La dignité c’est d’avoir un rêve, un rêve fort qui vous donne une vision, un monde où vous avez une place, où votre participation, minime soit-elle va changer quelque chose “

De manière générale, je suis émerveillée par les histoires de femmes. Ici, je le suis davantage par la note orientaliste qui me charme. Le mot harem fait voyager mon esprit qui s'envole vers des images dignes des mille et une nuits, dans un paradis où se pavanent les femmes comme des paons dans un jardin d'éden. Dans mes yeux apparaissaient des couleurs de tissus multicolores, des fontaines, des reflets d’objets d’or et de femmes qui ricanaient niaisement…. MAIS ... comment, en tant que femme ai-je associé le harem à une cour de récréation dorée sachant qu’elles étaient la propriété d’un sultan, prince ou notable dont certaines étaient les épouses, d’autres concubines et d’autres .. unknown où il allait piocher à sa guise "la poule" qui l’amuserait telle soirée, telle journée ou telle après-midi. J’étais déçue de moi-même.

Je décide de me plonger dans la lecture de ce grand classique de la littérature marocaine où la grande Fatima Mernissi nous raconte son enfance, à l’époque du protectorat, dans un harem de la ville de Fès. J’étais décidée à lever le voile sur la signification réelle du mot harem.

Dès le début de l’intrigue, le mot hudud [ou frontière] apparaît comme récurrent. Serait-ce donc un élément fondamental de la définition du harem ?

Au fur et à mesure des pages, je devine que la petite héroïne a plus ou moins le même objectif que moi : comprendre les mécanismes de l'endroit où elle se trouve, le harem où elle grandit.

“Rechercher les frontières est devenu l’occupation de ma vie. L’anxiété me saisit dès que je ne réussis pas à situer la ligne géométrique qui organise mon impuissance”

A travers le regard de la jeune Fatima, nous comprenons que la définition du mot harem ne peut pas être simplement décrite en quelques mots. Tout au long de l'intrigue, elle essaiera de la définir.

Cette innocence volontaire rend la lecture agréable et dénuée de préjugés. Le harem dont elle nous raconte l’histoire me fait penser à une cage d’oiseaux bien nourris. Certes, rien ne leur manque à proprement dit sauf leur liberté. Par une écriture douce, Fatima nous raconte le passe-temps des femmes qui s'y trouvent, à savoir : le théâtre, la broderie, les séances de soins beauté, mais aussi les confrontations entre belle-mères, belle-soeurs et avec les hommes qu'elles côtoient quotidiennement, limités à leurs maris et membres de leur famille. On comprend que toutes ces activités sont les seuls moyens pour elles de vivre leur liberté. Par le voyage de leur imagination, elles ont une capacité infinie à rêver. Elles rêvent de danser, de chanter, de circuler librement dans la ville, de s'habiller, de lire, de se révolter, de parcourir le monde, liberté d’intimité avec leur époux, liberté de s’exprimer.

“Quand vous êtes emprisonnée, sans défense, derrière des murs, coincée dans un harem, disait-elle, vous rêvez d’évasion. Il suffit de formuler ce rêve pour que la magie s’épanouisse. Les frontières disparaissent. Les rêves peuvent changer votre vie et peut-être même le monde finalement”

Toutes les activités qu’elles organisaient de manière religieuse comme le théâtre mimant les grandes scènes romantiques chantées par Ismahan, les épisodes des mille et une nuit ou encore les musiques qu’elles écoutaient à la radio était leur carburant à rêve, le seul moyen d’échapper de leur cage dorée.

C'est dans ce contexte que Fatima commence à analyser le monde et ses règles. Dès lors, le bourgeon féministe commence à éclore.

Photographie prise par Lalla Essaydi

“Les femmes et les hommes travaillent du matin au soir. Mais les hommes gagnent de l’argent et non les femmes. C’est une des lois invisibles. Et quand une femme travaille très dur, sans gagner d’argent, elle est coincée dans un harem, même si elle n’en voit pas les murs. Les lois sont sans doute impitoyables parce qu’elles ne sont pas faites par les femmes”

Parfois, une vague de désespoir déferlait sur les femmes. Suffocantes, elles comprenaient qu'elles ne sortiraient jamais du harem. Cependant, elles voyaient une lueur d'espoir pour les jeunes générations qui, au travers de l'école mixte établie par les nationalistes, ouvrait la voie à l'émancipation féminine. Elles ont donc tâché de construire leur liberté, en particulier la mère de Fatima, en inculquant aux jeunes filles du harem une vision féministe, émancipatrice, bousculant les codes.

“Au moins mes filles auront une vie meilleure. Elles auront de l’instruction, elles voyageront. Elles découvriront le monde, le comprendront, et participeront éventuellement à sa transformation. Tel qu’il est, le monde est absolument pourri. Pour moi, en tout cas.”

Les hududs du harem, cet endroit clos sans fenêtres sur l'extérieur, représentaient les frontières entre les femmes et les hommes, les frontières sociales où les femmes ne pouvaient pas choisir leur destin. Ces hududs aussi, ont fait bourgeonner dans le coeur de la petite Fatima Mernissi la graine du féminisme qu’elle portera jusqu'à sa mort avec brio en tâchant de démontrer que la liberté des femmes ne devait pas être incompatible avec la loi musulmane et qu'elle devait encourager l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes marocaines.

Puis, elle se retourna vers moi : “ Tu vas changer le monde, toi, n’est ce pas ? Tu vas conduire des voitures et des avions comme Touria Chaoui. Tu vas créer une planète sans murailles ni frontières, où les gardiens seront en vacances tous les jours de l’année.”

C'est ainsi qu'en 2000, le Roi Mohammed VI, changea la constitution en y promulguant l'égalité entre les femmes et les hommes créant de ce fait un code de la famille plus égalitaire. C'est ce qu'on appellera la Moudawana.