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Récit d'un féminisme

Ma participation à l'atelier d'écriture des écrivaines et féministes africaines

18 mai 2022

Je me souviens encore de ce jour. C’était un jeudi il me semble, un jour qui n’allait pas être marqué par la banalité du quotidien. Ce jeudi, j’étais conviée au siège de l’UNESCO à Paris pour représenter une organisation de diplomatie participative dans laquelle j’étais membre depuis plusieurs années. En marchant vers l’estrade, j’ai subitement repensé aux 10 derniers mois où j’avais fait des recherches jour et nuit sur ce sujet riche et vaste qu’est l’égalité femmes-hommes. Je souhaitais maîtriser ce sujet à la perfection.

Je pensais quelque part être confiante sur cette prise de parole. Je me suis donc lancée, la gorge nouée au début, essayant tant bien que mal de ne pas avoir le souffle coupé au milieu des longues phrases que je partageais avec l’audience, une audience qui était...remplie à majorité absolue par des femmes. Elles étaient là, en face de moi, de toutes générations avec dans leurs yeux la même ferveur, la même passion, la même vibrante énergie, toute dans l’attente de savoir ce que j’avais à dire, moi représentante d’une organisation de jeunes diplomates. À la fin, la pression du discours étant redescendue, on m’a posé une question, la question: 

- Êtes-vous féministe ? 

Je ne me souviens plus exactement de ce que j’avais dit mais j’ai ressenti comme une gêne, une boule au ventre comme si c’était la question la plus hors sujet qu’on pouvait me poser, alors qu’elle était la plus évidente, au vu du contexte.

À la fin de ma réponse, j’ai essayé de chercher du regard la personne qui m’avait posé cette fameuse question. Je l’ai retrouvé, je l’a voyais, avec ses cheveux blancs et gris, avec son écharpe orange autour du cou...et ce regard de soulagement dans ses yeux

J’ai parfois eu un rapport confus avec le féminisme, comme si la multiplicité des idées sous-jacentes perturbait ma volonté d’avoir ma propre vision sur le sujet.

Je ne me suis jamais posé la question de mon degré de féminisme car je pensais que quelque part il relevait de l’évidence. D’autant plus que j’ai eu, je pense, une vie où j’ai pu rendre mon émancipation personnelle possible. J’ai toujours eu l’impression que les barrières qui s’imposaient à moi étaient ridicules par rapport à la manière dont je voulais me construire en tant que femme. En tant que femme ma seule priorité était d’assurer ma liberté, ma liberté d’être et de paraître. C’était ça pour moi le féminisme. 

Il y a quelque temps, j’ai de nouveau expérimenté cette même boule au ventre. C’était lors d’un atelier d’écriture pour féministes et écrivaines féministes africaines animé par l’incroyable Hemley Boom et organisé par le AWDF. En effet, j’étais impatience à l’idée de participer à cet atelier car curieuse de voir ce que d’autres femmes africaines avaient à dire, à écrire. Sur quels sujets elles voulaient s’exprimer, en savoir plus que les sujets qui les animaient, dans l’idée de pouvoir éradiquer toute forme d’a priori.

Mais...dès le premier jour, Hemley Boom nous a demandé d’écrire la “cause” , la raison pour laquelle nous sommes devenues féministes. “Nous”, chacune… Donc moi aussi je devais expliquer...encore une fois pourquoi j’étais féministe. Mais bizarrement, cette fois, je n’avais pas l’impression que je devais donner des explications aux autres...mais c’est comme si je me devais des explications à moi-même.

J’ai cru pouvoir me détourner de la question avec un premier texte qu’Hemley a qualifié d’indignation simple... J’étais quelque peu pincée par sa remarque mais elle avait raison. Elle nous avait conseillé de puiser en nous, en notre vécu, afin d’exprimer nos idées à travers notre regard, de sorte aussi à ce que nos écrits résonnent dans l’esprit de ceux ou celles qui nous lisent.  

Une journée était passée, mais en réalité… J’avais beaucoup pleuré car je vous avoue que parler du fond de son être sans détour, sans mensonge, sans légèreté demande du courage, de la bravoure de l’honnêteté… Et, je ne peux vous dire à quel point cela a été difficile.

Je suis revenue le lendemain, un peu plus ouverte à moi-même, un peu plus ouverte aux autres, à ce groupe de femmes, dont je faisais désormais partie et qui avaient, pendant au moins une semaine décidé de faire confiance, de se livrer. J’ai ressenti une telle bienveillance, qu’il me suffit d’y repenser pour que je frissonne d’émotion. J’ai écouté des femmes, des femmes féministes parler avec force, puissance, douceur, vulnérabilité de leur histoire personnelle, de leur parcours, de leurs blessures, de leurs rêves tout cela à travers ce qui nous rassemblait autour de cet atelier: l’écriture mais aussi le fait d’être des femmes ayant décidé de se laisser guider par leur esprit libre.

Le féminisme connaît de nombreux courants qui, pour moi, se heurtaient parfois les uns aux autres, créant des étincelles qui parfois se transformaient en feu dévastateur. Grâce à ce groupe, j’ai enfin expérimenté un féministe complémentaire, compréhensif, constructif et protecteur. Un féminisme qui repose sur une sororité respectueuse et bienveillante.

De toutes les définitions du féminisme je garderai cette expérience comme étant sa plus pure définition. On dit souvent qu’il y a une sorte de concurrence entre les femmes, une sorte de compétition instinctive pour qui sera la reine de la ruche. Cet atelier est la preuve vivante que non. Ce que je retiens aujourd’hui, c’est que je ne me suis jamais sentie aussi femmes, qu’au milieu de femmes et à travers le regard de femmes. 

Je terminerai avec une infinie reconnaissance, une reconnaissance quasi spirituelle voire divine d’avoir participé à cet atelier qui a fait naître une nouvelle femme, une nouvelle moi, qui n’aura plus de boule au ventre lorsqu’elle devra répondre de son féminisme, car il est désormais en elle, il est elle, Meriyem la féministe.