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Mathématiques congolaises

In Koli jean Bofane

30 août 2019

Article rédigé par Meriyem KOKAINA

On est toujours responsable quelque part, Célio. Parce que c'est l'esprit des choses qui compte. Si ton action revêt un esprit qui est contradictoire avec tes convictions, alors abandonne la. A moins que tu n'en aies plus, fils.

J’ai toujours développé une sorte de fascination inexplicable pour la République Démocratique du Congo. Une sorte d’admiration exacerbée pour ce pays, dont je ne savais pas grand chose. Un jour, on m’a demandé quelle était ma passion, j’ai répondu la RDC avec humour (mais comme vous le savez l’humour n’est que l’expression de certaines vérités). Les arguments justifiant ma passion pour cette contrée étaient simples et commençaient toujours par “ Mais est-ce que vous réalisez la puissance du soft power de la RDC, qui n’a pas dansé sur des rythme de Ndombolo, qui n’a pas dansé sur du Fally ou du Koffi, qui ne connaît pas la sapologie, art sans pareil”.

De plus, je n’ai jamais autant ri qu’avec des Congolais. Mon explication s’arrêtait généralement à cela, c’était très bienveillant, mais c’était naïf...

Ah, avant que j’oublie, autre chose que je savais. La RDC était le pays le plus riche en terme de ressources naturelles, mais un des plus pauvres du monde, avec un budget annuel gouvernemental ne dépassant pas les 6 milliards de $. Là, mon sourire laissait place à un froncement de sourcils et une simple question “pourquoi ?”

Dans les couloirs de la Fnac, section sciences politiques (non pas romans étrangers), je n’ai pu résister à cette couverture qui portait le nom de “Mathématiques congolaises”. Sans même lire la quatrième de couverture, je l'emportais. Telle est l’histoire qui y débuta :

Dans le désordre organisé de la ville de Kinshasa, Célio Matemona est entouré de ses proches et de ses amis. Les discussions s'enchaînent sans souci de coordination particulière, mais dans un bon esprit général. Débarqué de nulle part, un militaire, l’adjudant Bamba sollicite Baestro, "le neveu mélomane” de Célio pour faire partie d’une manifestation politique orchestrée. Il allait être payé. Pourquoi refuser... ce n’était pas la première fois qu’il participait à ce type d'événements, il fallait bien manger après tout…

Mais, les choses ne se passent pas comme prévues… La manifestation tourne mal, Baestro y perd la vie.

“Baestro s’éteignit dans le meuble de fer, au milieu d’ustensiles chirurgicaux, inoxydables et froids, comme l’est la raison de l'État”

Célio, dit également Célio Mathématik, avait une passion sans limite pour les mathématiques. Cette passion, il l'avait développé à ses dix ans lorsque son père lui offrit l’Abrégé de mathématiques à l’usage du second cycle, paru en 1967, seul souvenir de son père d’ailleurs qu’il gardait religieusement.

Un jour, ses explications atteignirent les oreilles d’un haut responsable du gouvernement, Tshilombo. La machine était lancée, son destin avait sens, la providence avait tourné. Célio intégrait le gouvernement congolais.

“ Qu’on le veuille ou non, il allait utiliser ses connaissances pour sublimer les activités du Bureau Informations et Plans “.

Les missions de Célio s'enchaînaient et ne sont que succès. Les théorèmes mathématiques de l’ouvrage qu’il avait gardés telle une bible sacrée fondaient toutes les stratégies que le bureau des informations utilisait pour des actions politiques. L'objectif de ce cabinet était loin de partager l‘information comme on pouvait le laissait croire son intitulé, mais servait surtout à faire des jeux de communication … bon disons le, de la manipulation (au service du pouvoir).

“ Pour démultiplier une action, l’Abrégé de mathématiques de Kabeya Mutombo conseille ouvertement la fonction exponentielle. C’est ce qui marche le mieux”

Célio est au sommet de sa gloire: femme, prestige, mathématiques.. Cependant, une tâche vient ternir ce tableau. De fil en aiguille, il apprend que son chef est potentiellement impliqué dans la mort de Baestro … Il est complètement perturbé par cette annonce.

Un choix devait se faire, devait-il continuer à nager dans ce faux prestige ?

“On est toujours responsable quelque part, Célio. Parce que c’est l’esprit des choses qui compte. Si ton action revêt un esprit qui est en contradiction avec tes convictions, alors abandonne-la. A moins que tu n’en aies plus, fils. “

Célio comprit qu'il ne pouvait plus travailler pour le bureau, c'était au delà de ses forces, au delà de ses principes et convictions.

“Quand il avait accepté ce travail Célio, il se l’était imaginé facile. Il s’était dit que côtoyer l’abject n’aurait eu aucune incidence sur lui. Il avait pensé à tort que l’argent n’aurait eu aucune incidence sur lui. Il avait pensé à tort que l’argent allait mettre une sourdine sur sa conscience. Avec cette affaire Baestro qui se compliquait, la sourdine ne fonctionnait plus du tout.”

Les actions s'enchaînent jusqu'à la décision de réaliser un coup d’Etat qui se clôture par la mort de l’officier Bamba dont le souhait profond était d’avoir une vie plus douce auprès de sa famille. Chaque mission pour lui devait être la dernière, finalement, seule la mort y mit fin.

Célio décide sans attendre de quitter le gouvernement.

La mort de l’officiel permit à Célio d'hériter du carnet de Bamba où toutes ses missions étaient contées dans les plus petits détails.

Désormais, Tshilombo et ses pareils devaient rendre compte devant leurs victimes, devant le peuple.

Le carnet fut publié par un journal créant le scandale dans le pays. L'image du bureau et du gouvernement est terni.

L’ombre d’un renouveau électoral renaît dans le pays. On voit dans Célio un candidat idéal. La nostalgie de Patrice Lumumba et des libérateurs refait surface.

“Une petite lueur était apparue brièvement en 1960, mais opportunément, on avait assassiné Patrice Lumumba, pour décourager, une fois pour toutes, l'exercice du suffrage universel. Le peuple avec obstination avait tenu bon, et depuis près d’un demi-siècle, s’était battu contre l’oppression avec peu de moyens et de soutiens, il est vrai, mais il avait toujours voulu signifier au pouvoir en place qu’il n'aurait pas d’autres alternatives que des élections libres et transparentes”.

Aujourd’hui, après l’ère Mobutu et Kabila, pour la première fois, des élections calmes ont eu lieu en RDC avec Felix Tshisekedi. L’avenir de la RDC reste incertain et quels que soient les critiques, c’est un pas de plus dans le combat de libération de cette nation.