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Une si longue lettre

Mariama Bâ

25 décembre 2019

Article rédigé par Meriyem KOKAINA

“L’amour, si imparfait soit-il dans son contenu et son expression, demeure le joint naturel entre ces deux êtres”

Il y a des histoires qui éveillent notre nostalgie, certaines qui éveillent notre indignation et d’autres nous envoient vers des rêves enjouées. Mariama Bâ, quant à elle, les anime tous avec une plume embaumée de douceur.

A travers l’aventure épistolaire que mène Ramatoulaye à l’attention d’Aissatou, nous comprenons que seront partagées les confessions profondément intimes de deux amies de longues date.

Ramatoulaye, fraîchement veuve, raconte l’éclosion d’un amour innocent qui la lia avec son mari pendant de longues années et qui donna naissance à 12 petites âmes. De ce mariage, de la reconnaissance elle n’en attendait pas particulièrement, mais peut-être aurait-elle souhaité de la considération. Malheureusement, elle n’y eu pas droit, à la place, une nouvelle coépouse, qui ne sera autre que l’amie de sa propre jeune fille…

“Dieu lui a destiné une deuxième femme, il n’y peut rien. Il te félicite pour votre quart de siècle de mariage où tu lui a donné tous les bonheurs qu’une femme doit à son mari. Sa famille, en particulier moi, son frère aîné, te remercions.”

Cette histoire tranchant le coeur, renvoi directement à la condition féminine dans les sociétés où la polygamie est une norme ne semblant pas perturber les masses. Cependant pensons nous aux conséquences psychologiques que cela a sur les femmes ainsi que leurs enfants.

“J’étais abandonnée : une feuille qui voltige mais qu’aucune main n’ôse ramasser, aurait dit ma grand-mère. “

Questionnons-nous les sentiments de toutes ces femmes qui ont conscience depuis leur plus jeune âge que leur époux peut débarquer du jour au lendemain sans prévenir avec une nouvelle femme dans le foyer.

Quelle valeur donnons nous aux femmes dans les sociétés polygames ? Quels bienfaits aujourd’hui peut-on encore y voir ?

“Je mesurais, aux regards étonnés, la minceur de la liberté accordée à la femme.”

Face à ce tsunami qui peut arriver sans prévenir, les femmes ont deux choix : accepter ou partir. Ramatoulaye préféra rester principalement pour des raisons économiques, malgré les réticences de ses enfants perturbés par la nouvelle et sa fille ne voulant que vengeance vis à vis de son père et de son ancienne amie devenue sa belle-mère.

Son amie Aïssatou, elle, choisi le contraire. Sa dignité avant tout. Elle décide de quitter son mari et toutes pressions sociales pour donner un nouvel élan à sa vie. Aujourd’hui elle se dresse, tête haute, comme une femme indépendante, financièrement et socialement.

Les princes dominent leurs sentiments pour honorer leurs devoir. Les “autres” courbent leur nuque et acceptent en silence un sort qui les brime.

Ramatoulaye, curieusement, l’envie sans l’envier. Elle assume son choix mais dans un élan féministe refuse la place et l’image de la femme que renvoi la société patriarcale et machiste qui priorise le bien-être de l’homme au dépend de l’équilibre de la femme et du foyer.

“La femme ne doit plus être l’accessoire qui orne. L’objet que l’on déplace, la compagne qu’on flatte ou calme avec des promesses. La femmes est la racine première, fondamentale de la nation où se greffe tout apport, d’où part toute floraison.”

Elle fait lien également avec la nouvelle génération, force vive de la nation, à travers ses enfants en insistant sur l’importance de l’éducation. Peut-être à avertissement aux jeunes filles, comme aux jeunes garçons pour les inciter à assurer leur avenir afin de ne pas subir les méandres de la vie.

“Le diplôme n’est pas un mythe. Il n’est pas tout certes. Mais, il couronne un savoir, un labeur”

Enfin, la beauté de ce livre vient surement du fait qu’il est chargé d’amour et de bienveillance. Ramatoulaye garde un amour nostalgique de ses premières années d'amour avec son défunt mari, un amour inconditionnel pour ses enfants et sa patrie et un amour amical qu’elle partage tout au long de son écriture. L’amour, certainement ce que l’on ressent dans ce livre, raison certaine expliquant pourquoi nous avons été si nombreux à apprécier cette lecture.

“L’amour, si imparfait soit-il dans son contenu et son expression, demeure le joint naturel entre ces deux êtres”