Revenir au site

La poupée ashanti

Francis Bebey

26 décembre 2020

C’est au cœur d’un marché de la ville d’Accra que l’intrigue prend vie dans un pays aux prémisses de son indépendance.

“Cette longue avenue de l’Indépendance, était elle-même un symbole. Elle avait été baptisée, sans doute parce que, partant de l’aéroport, elle conduisait l’étranger arrivant nouvellement dans le pays, jusqu’au centre de la ville en lui faisant respirer abondamment l’air d’une indépendance vieille alors de quelque trois ans seulement.”

Nous pourrions penser au marché comme un simple lieu de passage, d’échange de marchandises, de devises, de regards, de rires et d’interactions. Mais minimiser l’importance marché reviendrait à minimiser l’action de la jeune Edna qui de ce lieu mènera une fronde qui viendra secouer les sommets de l’Etat.

“Parfois, il est difficile de dire avec précision ce que les femmes du marché savent ou ne savent pas. Elles savent surtout très bien qu’elles sont des citoyennes d’un pays libre, et que leur rôle dans ce pays n’est pas à négliger. À partir de là, il y a bien des choses qu’elles se permettront de faire sans savoir s’il leur suffit pour cela d’être seulement des citoyennes d’un pays libre. “

Le marché ici se présente comme une expérience sociologique qui rassemble toutes les strates de la société. Parmi elles, les femmes du marché, nouveau modèle de femmes indépendantes qui choisissent de s’assumer pleinement grâce à leur indépendance financière. Bien qu’analphabètes, elles sont loin de manquer d’éducation et de conscience sociale et politique.

“Comment les femmes du marché voudraient-elles jouer pleinement leur rôle, et éventuellement gouverner le pays, si elles ne savent ni lire, ni écrire ?”

Ces femmes du marché nourrissent une aversion pour toute injustice et le font savoir en se faisant jouer les solidarités qui les lient, et qui leur permettent d’avoir gain de cause contre ce fléau.

C’est une femme de marché qui éduquera la jeune Edna. Cette femme n’est autre que sa grand-mère qui ne lui souhaite qu’une chose, qu’elle puisse suivre ses pas et être, une commerçante comme elle, indépendante et importante. Pour sa grand-mère, cette voie sera plus fructueuse que de poursuivre des études, pour lesquelles elle nourrit une certaine aversion.

« Toi, fille de mon sein, je crois que c’est une bonne chose que tu ne sois pas restée trop longtemps à l’école» .

En effet, sa grand-mère considère que les études sont une affaire d’hommes, ou de femmes voulant ressembler aux hommes.

“c’est l’affaire de ces femmes qui veulent travailler dans les bureaux, comme si elles étaient des hommes.”

C’est dans ce marché que grandira Edna, protagoniste d’une révolution qui sèmera le trouble dans un pays en pleine reconstruction. La raison de cette manifestation, la libre injustice dans un état dysfonctionnel contre lequel les femmes du marché, animées par un sentiment révolutionnaire, ont pleine conscience qu’elles ont les moyens de le faire fléchir. Déterminées à mettre fin au népotisme et à l’inertie du gouvernement avec à sa tête le Docteur, elles dénoncent sans moindre mesure, les comportements de favoritisme préférés à la méritocratie.

“Il ne s’agissait pas seulement d’une simple histoire de permis de vendre, comme bien des gens l’ont cru. C’est là que se trouve l’erreur. Il s’agissait, pour nous, femmes du marché, de l’affirmation de notre volonté de servir le pays sans pour autant accepter que quelques individus haut placés voient en nous tout juste de bonnes vendeuses et rien de plus;”

Edna mènera ce combat avec le soutien de Mam, sa grand-mère et de toutes les femmes du marché, au risque de sa vie.

“Mam, Mam, je meurs. Edna, qui venait de recevoir une balle dans le dos, tomba en bas du perron et, tandis que Mam, se frayant un chemin dans la foule, tentait de se rapprocher d’elle, elle était déjà entourée par des manifestants et des gardes.”

C’est dans ce marché qu’ Edna, par sa beauté et son tempérament, rencontrera Spio, un fonctionnaire qui sera épris de son charme, malgré une relation tumultueuse, qui sera entachée par des jalousies et ruptures amicales et surtout l’exil de Spio. Mais finalement, leur amour se terminera par leur union, œuvre du destin. Spio qui au risque de sa carrière prend le risque de la soutenir, elle et toutes les femmes qui mènent ce combat avec elle, Edna, qu’il appellera sa poupée ashanti.

“Elle découvrait que la jeune génération n’avait pas le courage de prévoir l’avenir sans cette chose absurde qu’était l’amour. “

Une lecture politique et sociétale à travers l’histoire de la personnalité forte et confiante d’Edna, une femme qui, ne se laissera dénigrée ni par son illettrisme, ni par sa condition de femme de marché. Un intrigue qui montre la force du collectif face au changement et à l’amélioration de sa société. Une lecture fluide et gracieusement écrite par l’artiste complet qu'était Francis Bebey. Une lecture que j’ai beaucoup apprécié, tant dans son message que son écriture.