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L'Aventure ambigüe

Cheikh Hamidou Kane

13 mai 2022

L'école où on pousse nos enfants, tuera en eux ce qu'aujourd'hui nous aimons et conservons avec soin, à juste titre .

Publié en 1961, “L'Aventure ambigüe” est une œuvre de fiction semi-autobiographique écrite par le talentueux Cheikh Hamidou Kane. 

L’intrigue principale se passe à deux époques différentes et à deux lieux différents. La première époque est durant l’enfance du personnage principal Samba Diallo, notamment durant ses années scolaires. Nous sommes à l’époque post-coloniale, et les connaissances ancestrales se mélangent et laissent place aux connaissances du monde occidental. La seconde étape se déroule lorsqu’il est jeune adulte, lors de ses études supérieures.

Au début du roman, on remarque que le livre est situé sur les terres africaines. La seconde partie de l’histoire se déroule en Europe, et plus précisément en France.

Mannequin: @mannie_be // Photographe @ahamibeleme

Le personnage principal de ce roman est Samba Diallo, fils d’un chevalier Diallobé. On voit cet enfant grandir, s’accommoder des épreuves de la vie, accepter les décisions prises par les adultes qui ont un impact direct sur sa vie. 

De son éducation religieuse qui lui impose un maître des écoles sévère et violent, à son envoi dans l’école des « toubabs », Samba Diallo est bon élève. Il suit les directives, s’interrogeant souvent mentalement sur leur objectif, remettant peu en question les ordres cependant. 

Pour ses études supérieures, Samba Diallo s’envole en France. Il est frappé par le choc culturel et la si grande différence avec l’Afrique, et plus particulièrement le Sénégal. C’est d’ailleurs le cas pour la plupart des africains s’installant en France. Cette différence culturelle est d’ailleurs également mise en avant par un second personnage du livre, le Fou. Il n’a pas su s’adapter au rythme de la vie occidentale et en a perdu la raison. 

Alors que Samba Diallo s’immerge dans la culture française, il s’éloigne de plus en plus de sa culture, et plus précisément de sa religion. Le choix des études supérieures en philosophie y est sûrement pour beaucoup, cette matière ayant pour objectif de remettre en question tous les fondements  des sociétés et les opinions de tout le monde. Mais nous noterons cependant que la philosophie est le choix logique qu’aurait pu prendre notre personnage principal. 

Cette distanciation avec ses origines ne le laissent pas sans séquelles. Il remet en question toute son éducation et toutes ses croyances et se croit abandonné de Dieu. Son père, personnage secondaire très important dans ce roman, lui vient en aide au travers d’échanges écrits et lui dit : 

« Tu crains que Dieu ne t’ait abandonné, parce que tu ne le sens plus avec autant de plénitude que dans le passé, [...] mais tu n’as pas songé qu’il se puisse que le traître, ce fût toi ? ». 

Car si l’on ne pratique pas la religion, notre foi ne tend-elle pas à baisser inévitablement ?

Le père de Samba Diallo, le Chevalier, est un homme intelligent et cultivé. Il est un modèle pour Samba, qui depuis tout petit, boit ses paroles. Il représente également une passerelle entre les traditions africaines et la « modernité » occidentale, comprenant très tôt qu’une nouvelle ère s’installait.

Un autre personnage secondaire qui mérite sa description est la Grande Royale.  Il s’agit de la tante de Samba Diallo, qui joue un rôle important dans la société et dont la voix est respectée. Ce personnage nous démontre que la femme africaine a son mot à dire dans la vie en société et que ses paroles ont autant de poids que celle des hommes.

Enfin, le maître coranique Thierno, est également un personnage important de l’intrigue. Il fut l’un des hommes important de la vie de Samba Diallo, lui apprenant les préceptes de l’Islam.  C'est un personnage ambigu. Violent envers ses élèves, il est persuadé que c’est la seule manière de leur enseigner la base de la religion et de les élever spirituellement, afin qu’ils atteignent la connexion divine. 

Cette œuvre littéraire met en parallèle deux mondes aux antipodes, qui se côtoient. Une mise en relief par rapport à la vie du personnage principal, Samba Diallo. Tout au long du roman, la dualité est présente : vie traditionnelle africaine et la vie moderne occidentale, l’enseignement coranique et l’enseignement de l’école des « toubabs ». L’amour de la spiritualité mais l’incompatibilité de celle-ci avec la vie moderne. L’amour du sévère professeur coranique Thierno, et les coups, parfois violents, souvent injustifiés, envers les élèves de la madras… 

Je l’ai trouvée douloureuse à lire, sûrement car je me suis sentie proche des différents personnages. Je m’y suis personnellement identifiée, mais j’ai également reconnu des proches dans certaines situations. Plus particulièrement, j’ai ressenti la difficulté à concilier la foi et la raison. Je pense que cette œuvre est une représentation des deux sociétés, et des questionnements qu’ont ressenti les africains s’installant en Europe. Elle a pu permettre à certains de mettre des mots sur leurs vécus et leurs ressentis. Bien que 60 ans ont passé depuis la publication de ce roman, les problématiques abordées à l’époque restent d’actualité.