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Figures de la révolution africaine: De Kenyatta à Sankara

Saïd Bouamama

15 décembre 2021

“Figures de la révolution africaine : De Kenyatta à Sankara”. Le titre de l’oeuvre est bien explicite, mais soulève immédiatement quelques réflexions. Je me demandais dès sa lecture ce que l’auteur voulait dire en parlant de “La révolution africaine”. Y aurait-il un seul axe de révolution sur ce vaste continent ? Est-ce que l’esprit révolutionnaire africain reposait sur la même dynamique ? Si je commence dès le titre à me poser mille et une questions... c'est que je risque de ne pas être déçue 😄 !

Comme l’indique ce fameux titre, le livre dresse le portrait de plusieurs figures révolutionnaires africaines, dont Jomo Kenyatta, Ruben Um Nyombè, Frantz Fanon, Patrice Lumuma ou encore Kwame Nrumah. D’autres personnages, loin des terres africaines sont également étudiés comme: Malcom X, Aimé Césaire ou Dien Bien Phu. Nous pourrions nous questionner sur la cohérence du choix de ces personnages car, au premier abord, ils ne se définissent pas tous par leur présence directe sur le territoire africain. Cependant, au fil de la lecture, ce choix s’éclaircit et finit par relever de l'évidence.

En ouvrant le sommaire, nous arrivons à distinguer les trois parties du livre. Tout d’abord, l’auteur commence par analyser l’évolution historique des différentes pensées de la révolution africaine. Puis, il continue en dressant les biographies des personnalités historiques de chaque période. Enfin, il termine par évoquer les parcours qui invitent à la réinvention d’une nouvelle Afrique libre

Les premiers personnages qu’il évoque sont Aimé Césaire, un pionnier de la Négritude, Jomo Kenyatta, le premier président du Kenya et le révolutionnaire camerounais Ruben Um Nyobè. Pourquoi avoir réuni les trois? Car, ils ont tous commencé leur lutte en se basant sur le droit international pour questionner le colonialisme, ce qui portera un coup dur à la pensée coloniale européenne à l'époque.

Quelques années plus tard en pleine guerre froide, les négociations juridiques, philosophiques et diplomatiques avec les pays impérialistes se révèlent vaines. Kwame Nkrumah, Frantz Fanon et Patrice Lumumba, viennent à la conclusion que la lutte armée devient nécessaire et vitale à la destruction de l’appareil colonial. En effet, la bataille de Diên Biên Phù en 1954, suivie de la Conférence de Bandung en 1955, démontrent que le droit international ne permett pas de défaire le sytème colonial. 

Enfin, dans les années 1960 - 1970, nous observons un changement de discours, notamment à travers les portraits de l’Afro-américain Malcolm X, du nationaliste marocain Mehdi Ben Barka, du guinéen Amilcar Cabral et du burkinabé Thomas Sankara, qui lancent une rébellion idéologique contre l'impérialisme

Ce livre se révèle être plus qu’une série de biographies, mais une analyse des différents courants qui ont permis, aux différentes figures qu’il présente, de mener des luttes de résistances pour libérer leurs différents pays de l’oppression. L'ouvrage annonce que son but est de "contribuer à la redécouverte d’une pensée-action dont la connaissance nous semble indispensable au moment où émergent dans le monde, et en Afrique en particulier, de nouveaux visages de la domination et de nouveaux cycles de luttes".

Said Bouamama, au-delà de dresser ces portraits ouvre son livre sur ce besoin nécessaire de décoloniser l’histoire en revenant sur les grandes périodes et révoltes contre l’oppression qu’elle soit celle de l’esclavage ou la colonisation. 

Il arrive également à donner de la clarté à notre analyse de son ouvrage en posant les distinctions entre indépendance et décolonisation, et en montrant la continuité entre l’anticolonialisme et la lutte anti-impériale et le passage du réformisme juridique à la légitimation de la violence.

Said Bouamama retrace le parcours de ces figures, qui entre les années 1940 et 1980, se sont rebellées idéologiquement, mais aussi par la force contre des pouvoirs d’oppression, tous, dans l’espoir de créer une Afrique libre et affranchie de toute domination. Ces penseurs et combattants, sont tous devenus des symboles des mouvements post-coloniaux et surtout de l’Histoire à laquelle jeune génération que nous sommes, nous nous identifions. 

J’étais impatiente de lire ce livre, car il nous permet d’avoir une approche globale des figures qui ont parfois laissé leur vie dans l’espoir de construire une Afrique libre, émancipée et digne. L'auteur nous apprend également une chose qui est souvent oubliée : que les luttes idéologiques sont nécessairement liées à une perturbation du système d’oppression en son coeur, et souvent cela passe malheureusement par la violence, car malheureusement, l'histoire nous montre l'impuissance du droit international, qui peine, encore aujourd’hui, à mettre de la justice dans le système mondial dans lequel nous vivons. 

Malgré l'intérêt de ce livre, je reste profondément déçue par le fait qu'aucune femme n'ait été citée dans cette ouvrage. J'observe, assez dépitée, que malgré les efforts, les femmes restent délibérement marginalisée de l'histoire. Malheureusement, ne pas les citer relève de l'erreur historique. Parfois, je me dis que si certaines femmes n'avaient pas pris la peine d'écrire leur histoire, comme Aoua Keïta, elles seraient tristement passées aux oubliettes. cc

 

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