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Afrotopia

Felwine Sarr

13 mars 2021

Article rédigé par Mohamed Lamine diaby

L'Afrique n'a personne à rattraper. Elle ne doit plus courir sur les sentiers qu'on lui indique, mais marcher prestement sur le chemin qu'elle se sera choisi.

Encore un livre qui va nous expliquer à quel point l’Afrique va mal...mais va aller mieux. Telle était ma première pensée.

Nombreux sont les livres racontant l’Afrique. On y traite de son passé, de ses heures sombres et glorieuses. On y traite de son présent, de la croissance de quelques pays et des difficultés de beaucoup d’autres. On y traite de son futur, sous un angle résolument optimiste ou tout l’inverse.

Qu’apporte de plus Afrotopia ? Va t-on devoir relire les mêmes leçons, les mêmes concepts déjà détaillés par d’autres ? Est-ce simplement une sorte d’ouvrage-rappel ?

“L’Afrique est en retard”, “L’Afrique va mal”, “Il faut sauver l’Afrique”, “...mais le futur du monde est en Afrique”... nous avons entendu tout cela. Mais encore ?

Et puis que veut dire Afrotopia ? Une contraction entre “Afrique” et “utopie”. J’allais donc avoir à faire à un livre qui nous peint l’Afrique rêvée, l’Afrique qui aurait dû être, mais qui n’a pu, qui n’est pas encore, mais qui sera un jour. une Afrique imaginaire, une Afrique qui n’existe que dans la tête du rêveur.

Je me décidais tout de même à le lire. Sait-on jamais.

Je commence donc la lecture et me laisse convaincre par les premiers paragraphes.

“L’Afrotopos est ce lieu autre de l’Afrique dont il faut hâter la venue, car réalisant ses potentialités heureuses. Fonder une utopie, ce n’est point se laisser aller à une douce rêverie, mais penser des espaces du réel à faire advenir par la pensée et l’action ; c’est en repérer les signes et les germes dans le temps présent, afin de les nourrir”

Afrotopia nous invite à imaginer, à rêver le futur de l’Afrique en interrogeant son présent puis à trouver des moyens de réaliser ce rêve par l’action. Sortir de la dichotomie afro-pessimisme/afro-optimisme qui projette tous deux sur l’Afrique des fantasmes hors-sol. Confronter la réalité et agir vers la vision.

Il ne s’agit donc pas d’une utopie au sens où je l’entendais. Il s’agit d’une réelle réflexion sur l’Afrique. Son passé, son présent, son futur, Felwine Sarr examine l’Afrique sous différentes coutures. Mais pas seulement. L’objectif n’est pas de simplement mentionner ce qui va et ne va pas. L’objectif est de fournir un axe de réflexion pour une transformation positive du continent.

Le groupe musical Sauti Sol

Nous pourrions articuler la réflexion de l’auteur autour de ces deux questions : Quel développement voulons-nous pour l’Afrique ? Quels leviers actionner pour le mettre en marche ?

“Le tour de force a été de poser les sociétés occidentales commes des référents et de disqualifier toutes les trajectoires et formes d’organisation sociale autres. Aussi, par une sorte de téléologie rétroactive, toute société différente des sociétés euraméricaines devenait sous-développée”.

L’auteur soulève un des problèmes majeurs des sociétés africaines : l’influence de l’occident. La colonisation a fait des dégâts. De fait, elle continue d’en faire. On a érigé les sociétés occidentales comme modèle à suivre. Le développement a un visage. C’est la France, c’est l’Amérique du Nord, c'est l'Occident. Ce n’est certainement pas la Guinée ou le Mali. Il faut donc ressembler à ces sociétés pour espérer obtenir le titre de “pays développé”.

Pour opérer une transformation positive des sociétés africaines, ce travail de décolonisation des esprits, décolonisation conceptuel doit être fait. Comme le dit si bien l’auteur “Pour être féconde, une pensée du continent porte en elle l'exigence d'une absolue souveraineté intellectuelle”. Il faut donc s’affranchir de l’influence extérieure et produire sa propre matrice pour penser l’Afrique. L’histoire et le contexte socioculturel particuliers du continent africain doivent notamment être pris en compte.

“Se réalise t-on pleinement sous le mode de l’imitation, de la greffe et de l’extraversion ? Sous l’injonction d’adopter des structures sociales, des mentalités, des significations et des valeurs qui ne sont pas le résultat de l’actualisation de ses propres potentialités ? La réponse est évidemment non.”

Pour construire un projet de société adéquat, stable, durable, l’Afrique doit donc s’atteler à construire l’Afrique. Non une pâle copie de l’Europe. Et cet effort doit se faire dans la manière dont on articule les différentes composantes d’une société.

“Il est nécessaire de penser le projet social dans sa globalité en analysant les interactions multiples de ses dimensions environnementales, c’est-à-dire celles qui visent à assurer les conditions de l’existence (l’économie, l’écologie), avec celles qui se donnent pour but d’oeuvrer sur les significations de l’existence elle-même (la culture, les philosophies, les ordres des finalités)”.

Dans l’élaboration du projet de société, l’auteur met toutefois en garde sur la définition et l'ampleur accordé à l’économie.

La croissance économique est aujourd’hui vue comme une finalité, une “notion guidant et reflétant l’évolution des sociétés”. Nous sommes des acteurs économiques, nous produisons des biens et services et nous échangeons sur le marché de l’offre et la demande. L’une des mesures les plus importantes de la richesse d’un pays est le PIB par habitant.

Même si cette vision, ces chiffres, ont leur part d’importance, ils doivent trouver un cadre dans lequel évoluer. Un cadre qui leur donne un sens. Pour l’auteur, ce cadre est le contexte culturel du pays.

“S’il est un espace où la puissance de dissémination et d’irradiation de l’Afrique est demeurée intacte, pleine et entière, malgré les soubresauts d’une histoire récente mouvementée, c’est bien celui de la culture. Cet ordre peut constituer le fondement d’une économie qui serait plus efficiente parce que mieux articulée à son contexte culturel”

Imaginer construire un projet de société adéquat serait donc un bon départ. Mais cela ne suffit pas. L’effort n’est pas seulement structurel, il est aussi psychologique nous fait comprendre l’auteur. Les blessures engendrées par l’histoire sont encore bien présentes.

Nous retrouvons l'impact de ces blessures psychologiques comme le décrit Frantz Fanon dans Peau noire, masques blancs. Dans l'inconscient général, l’occidental, le blanc, reste perçu comme plus légitime que l’africain, le noir. L’auteur retrouve ces mécanismes psychologiques dans de nombreux domaines, notamment le sport (“Dans le football, des petits sorciers blancs sont légions et entraînent la plupart des équipes africaines”) et le langage (“Des expressions populaires en Afrique de l’Ouest, comme la science du Blanc pour désigner le savoir scientifique ou son application technique”).

Un lourd travail de décolonisation doit également être fait dans l’enseignement des sciences humaines et sociales en Afrique. Trouver un moyen de “sortir de la re-production et de l’enseignement mimétique” est indispensable pour prendre en main son destin. Beaucoup d’étudiants d’Afrique de l’ouest étudient encore le Droit, l'Économie, en se basant sur des ouvrages français.

“Déconstruire la raison coloniale (ethnologique) passe par une critique radicale des discours produits, de leurs cadres théoriques, de leurs soubassements idéologiques et de la logique ayant servi à « pathologiser les Africains» et à les dominer.”

Oeuvre intéressante, même si courte, qui nous pousse à nous interroger sur les modèles que nous voulons pour nos sociétés africaines. En balayant divers sujets, elle met en lumière l'interaction et l’interdépendance de ceux-ci. Surtout, elle met en garde contre les tentatives d’importer la vision de l’Afrique que nous voulons. La transformation positive de l’Afrique nécessite une réflexion commune, sur les bons rails et vers la bonne destination.

© LÉO-PAUL RIDET/HANSLUCAS.COM pour Jeune Afrique